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plan libre 196
Rond-points
C’est par un rond-point transfiguré en carrousel coloré et musical que débute la séquence finale de Playtime de Jacques Tati. Le rond-point est modeste, mais composé de tous les attributs d’un giratoire de bord de ville, légèrement bombé, fleuri d’un parterre géométrique et agrémenté d’une sculpture mal choisie. Après les déambulations malheureuses de Monsieur Hulot dans un Paris neutralisé, le rond-point saturé et dysfonctionnel semble réactiver une urbanité joyeuse et incontrôlable. Le film se conclut en musique, sur un rythme nouveau et des promesses d’aventures.
C’est cet espoir que porte «le surgissement de l’avenir» que Luc Gwiazdzinski nous laisse entrevoir au travers des occupations de ronds-points par les Gilets jaunes et des transformations inattendues des giratoires périubains en socle pour une nouvelle «communauté d’afect». Au croisement et à la possibilité d’une rencontre, le carrefour giratoire substitue un évitement sans arrêt. Il existe environ 60 000 ronds-points en France. Cet archipel ressurgit là où les croisements accidentogènes peuvent être évités, là où la ville se distribue et s’épuise dans une suburbanité sans densité.
L’architecture des ronds-points est faite pour éluder toute forme d’événement, elle est continue, logistique et quotidienne, seuls les végétaux qui les embellissent accusent le passage des saisons. Même le mot « rond-point», composé en tautologie, répète fermement sa forme circulaire définitive. Retraçant l’histoire de sa recherche sur les ronds-points01 élargie à l’architecture de la voie02, Éric Alonzo rappelle que «la permanence de la forme des objets territoriaux constitue des réservoirs d’usages qui peuvent être activés à tout moment».
Les ronds-points peuvent alors devenir des plateformes occupées. Il y a certainement dans les parcours de chacun un rond-point qui se distingue des autres: celui qui marque l’entrée d’un domaine, d’un coin de ville qui nous est cher. Pour ma part, je reconnais parmi d’autres une constellation de trois qui articulent le passage graduel de la ville jusqu’au cœur d’une grappe pavillonnaire. Ils ont été un point de repère pour guider les visiteurs, «au second rond-point à gauche», et ont marqué symboliquement, comme des portes, l’entrée progressive vers la domesticité. Enfant, sans permis et sans voiture, il était alors commun de dire à ses amis «rendez-vous au rond-point» pour désigner là où les rues serpentines des lotissements convergent. Il était notre point de rassemblement et, déjà, la promesse d’aventures.
Sébastien Martinez-Barat
01 — Éric Alonzo, Du rond-point au giratoire, Marseille, Parenthèses, 2005.
02 — Éric Alonzo, L’Architecture de la voie. Histoire et théories, Marseille/Champs-sur-Marne, Parenthèses/École d’architecture de la ville & des territoires, 2018.