- un village témoin de l’architecture
- paramétrique et customisable
Le paradigme du non-standard,
un système de conception par et pour Instagram
Ce projet est une fiction qui critique et spécule le devenir d’Instagram, dans la relation entre réseau social et architecture.
Un siècle après le paradigme du Bauhaus qui visait à se saisir des nouvelles technologies pour repenser l’esthétisme architectural dans un fantasme universaliste de standardisation, l’ère du digital bouleverse à son tour la codification de l’image de l’architecture, et fait naître un nouveau désir : celui de faire coller l’imaginaire numérique à la réalité de la vie.
C’est un nouveau fantasme, qui prône à présent le non-standard, le customisable, tout en utilisant de la même façon les progrès technologiques pour créer une nouvelle façon de penser la ville. Le groupe META [Facebook/Instagram/What’s App...], pionnier en matière de machine learning, a su collecter des données de millions d’utilisateurs pour perfectionner un outil de prédiction algorithmique capable de générer et proposer le contenu le plus susceptible d’intéresser chacun de ses usagers, et par là les inciter à consommer toujours plus d’images, dans un flux ininterrompu via une interface sur smartphone.
Après avoir excellé en tant que réseau social, le groupe dédie une filiale à l’aménagement urbain, qui se veut à son tour pionnière de l’architecture du non-standard en réutilisant le processus prédictif d’un algorithme de pointe capable de générer un nouveau type de contenu, toujours en se basant sur les goûts de ses utilisateurs. L’algorithme diffère de la conception paramétrique qu’explorent depuis longtemps des architectes en se concentrant à rendre ses productions picture-perfect. Pour Instagram, seul l’outil computationnel est capable de proposer la synthèse parfaite du beau, tant il est capable de dicter puis prédire les tendances des esthétiques du digital.
Universel, Instagram réalise le fantasme entretenu par le courant moderne : mondialiser une esthétique de l’architecture comme un système radical s’approchant toujours plus de la perfection. Elle fascine et s’exporte dans le monde entier, faisant abstraction totale du lieu et de la culture dans lesquels elle s’implante. Par un rapport iconoclaste de superficialité, on cherche à amener du désir, de l’évènement. C’est une course à l’attention : la ville est un scrolling continu d’architectures en tous genres ; on cherche à interpeller, capter le regard et susciter une réaction. Plus encore, l’architecture devient une forme d’échappatoire, un besoin de s’évader de la société trop morne.
L’architecture est impulsive. On la commande en quelques clics sur une interface web et un algorithme génère une réponse instantanée. L’expérience est néanmoins physique : on visualise notre espace au travers d’un casque de réalité virtuelle. Satisfait, il ne reste qu’à cliquer et patienter qu’il nous soit livré en kit, dans la capacité maximale d’un container. On ne fait que suivre des mécanismes déjà bien rodés de la mondialisation.
L’architecture est démonstrative. Toujours plus technophile, le mode de fabrication de ces espaces conditionne le langage architectural et la façon dont on les exporte. L’impression 3D à grande échelle devient la réponse technique au problème posé par la volonté de produire de façon standardisée des objets customisés.
L’architecture s’émancipe de l’architecte tout-puissant. Déjà assistée, la conception devient plus autonome et transgresse le rôle de l’architecte. Il n’est plus concepteur du projet mais seulement du système qui le génère. Il devient programmeur, et perfectionne ce système, en définit les règles et les contraintes. Il devient relecteur, et finalise l’aboutissement du projet. N’étant plus attribuée à un architecte ou une agence spécifique, l’architecture devient open-source.
anatomie d’un système de customisation de l’architecturepartie 1 — usage/fonction/programmepartie 2 — hauteurs/limitespartie 3 — durabilité/pérennité/mobilitépartie 4 — capacité d’accueil/accès public-privépartie 5 — morphologiepartie 6 — effets visuels/perte de repèrepartie 7 — aspect/texturespartie 8 — résultat finalrésultat 1 — #yellow_templerésultat 2 — #blue_tunnelrésultat 3 — #green_wayrésultat 4 — #arcades_circusrésultat 5 — #entangled_pillarsdes dispositifs à composer à l’infini
Le langage évolue. Le contenu, qui désignait jusqu’alors un flux d’images virtuelles, devient un terme qui désigne un flux d’espaces divers. L’interface, qui désignait jusqu’alors l’espace virtuel permettant le dialogue entre un utilisateur et un programme informatique, devient désormais l’espace physique dans lequel on vient se mettre en scène et se donner à voir, se contempler de façon décomplexifiée. Ce sont des lieux à regarder avant d’être des lieux à vivre. Parfois peut-être n’ont-ils même pas d’usage, autres que de se laisser divertir et contempler. Le programme — au sens architectural du terme — se dissipe et est relégué au second plan, il n’est plus anticipé. On entretient une dichotomie singulière entre l’intérieur et l’extérieur, dans laquelle la façade du décor prime sur ses possibles usages. De partout, la forme se dissocie de la fonction.
La ville évolue. Elle se thématise, et se submerge de petits simulacres d’artificialité. Désormais conçue par interfaces modulées et dupliquées, la ville transgresse les processus et temporalités qui la fabriquaient jusqu’alors. Elle se fait à présent par collages plus ou moins subtiles d’un zapping d’architectures hétéroclites.
Pour les aménageurs urbains c’est une aubaine, une façon de faire de leur ville une vitrine, tant sur l’aspect esthétique que technique, voire touristique, c’est une démonstration du progrès. Différents acteurs publics et privés fabriquent la ville à toute vitesse. L’algorithme permet de produire un spectre large de typologies et morphologies urbaines : allant du mobilier urbain à des lotissements entiers, voire des installations monumentales.
L’architecture se fragmente et embellit les espaces publics. Dans un premier temps, des promoteurs ou acteurs de l’immobilier commandent puis revendent ou louent ces espaces, dont ils laissent l’usage libre à l’appropriation. Dans un second temps, c’est l’image de l’architecture qui se vend et se repend car elle attire et fascine de nombreux individus et influenceurs.
Instagram en devient doublement bénéficiaire : en mettant à disposition son outil de conception ainsi que le processus de fabrication, il vend des espaces dont l’image a vocation à proliférer au cœur même de son réseau social.